QUELQUES INTERROGATIONS A PROPOS DU TRAVAIL DE WU YIMING
J’ai été beaucoup en Chine, mais pas depuis 1987, quand le plus grand building de Shanghai était encore le Park Hotel, quand les hommes portaient encore le costume Mao avec poches militaires, et où le stylo – or, argent, cuivre et zinc, ou bien en alliage de métaux foncés- disait l’importance de chacun. Les rues grises s’étalaient sur des kilomètres, et les gens ne s’y déplaçaient pas plus vite qu’une brise de fin mai. Ils savaient où ils allaient, parce qu’il n’y avait nulle part où se rendre, seulement les mêmes maisons et cabanes branlantes, les mêmes boulevards de vieux platanes, les mêmes magasins pauvrement approvisionnés et la même fumée de charbon, les mêmes chaises en bambou près du sol et les mêmes pots de chambre, les mêmes murs gris …
Il y a quelques mois je suis revenu pour la première fois depuis 12 ans. Tout le monde à Shanghai sait combien la cité a changé, bien sûr, je n’ai donc pas besoin de le répéter, mais je voudrais mentionner un de mas vieux amis chinois qui m’a accompagné en voiture jusqu’à l’aéroport de Hongqiao le jour de mon départ. Il se plaignait beaucoup, dans la voiture, en parlant du grand jeu d’argent que tout cela était devenu, et du trop plein de liberté d’aujourd’hui, en particulier quand cette liberté concernait des lycéennes comme sa fille. Ensuite, à dessein, je lui demandait.
« Tu sais, quand j"étais ici, avant, on ne pouvait jamais voir des choses telles que des lanternes rouges suspendues, il n"y avait pas de dragon, et pas beaucoup d"or excepté peut être sur une banderole don’t le slogan vantait le triomphe de la Production : mais maintenant il y a un dragon à longues moustaches sur ce vieux grand magasin de la rue de Nankin ; que penses tu de ces choses là, maintenant que tu les vois à nouveau ? Que penses tu de toutes ces lanternes rouges ? ». Sans hésiter il dit : » Bien sûr, je pense qu’elles sont très belles ».
Une des choses les plus intéressantes à propos du bond vers le futur accompli par la Chine dans les dernières années, c’est qu’il est permis d’ouvrir la porte du passé ; une porte qui fût un temps condamnée avec des clous.
On peut en observer les manifestations les plus simples : un nouveau bâtiment aura un toittraditionnel, et pas seulement un toit en béton, plat et mort ; une jolie fille qui porte un qipao brillant ou encore le thé qui est à nouveau servi dans un théière à long bec du Sichuan apr un serveur qui se délecte de verser de l’eau bouillante dans une tasse de thé, à un mètre de distance, sans qu’une seule goutte n’éclabousse.
On peut aussi observer cette résurgence du passé dans des choses un peu moins ordinaires, parmi lesquelles la peinture de Wu Yiming.
Ces images sont remplies de vieux caractères, et elles ont l’apparence inquiète de vieux rouleaux qui , pendant des générations, ont été exhumées de boites cachées et de cabinets verrouillés et qui ne sont rien d’autre que des recompositions nostalgiques de vieux mythes. Oui, il ya là de vieux princes, de vieux généraux, de vieux courtiers et dames de l’ancien temps, mais leurs visages sont vierges ou effacés. Pas d’yeux, pas de nez, pas de bouches, pas de colère, rien n’affleure, ni équivoque ni sourire,pas de grief. Le monde antique est là, entièrement présent et déjà, entièrement mystérieux. C’est aussi beau qu’une orange royale et qu’un pourpre d’eau ; ainsi savons nous que cela a été plein de gloire, mais c’est aussi plein de promesses. Les héros charmants et l’élangance des vielles coutumes ne sont pourtant pas le sujet de ces toiles. Elles n’ont aucun amour pour le désuet. L’effacement des visages est ce à quoi nous ne cessons de revenir encore et toujours, comme le fait M. Wu lui même ; comme s’il essayait encore et encore, à la lumière du jour, de retrouver l’image perdue d’un rêve qu’il a eu la nuit dernière. Vous pouvez
LEO RUBINFIEN