WEI GUANGQING

Wei Guangqing laissera autant un nom qu'une ouvre. Il le sait. Comme son condisciple Wang Guangyi, c'est à Wuhan, dans la seconde moitié des années quatre vingt qu'il a développé le wenhua popu (文 化 瀑 布) ou pop'art culturel. Critiques Chinois et étrangers parmi lesquels Lü Peng et Léobold Cohen font connaître ce courant taxé, par ailleurs, de plagiat et de complaisance envers les goûts occidentaux. Qu'importe: la naissance de ce courant est un fait social aussi important que l'apparition d'un marché de l'art chinois qui lui est contemporain. L'augmentation de la valeur marchande de ces ouvres, d'années en années, tend à dépasser les plus coûteuses des ouvres d'artistes Européens et Américains. Wei Guangqing ne s'est pourtant jamais arrêté à des succès autant médiatiques que commerciaux. Insatisfait, laborieux, aimant le faste, l'alcool et les femmes, il se complait dans la médisance, la raillerie et la provocation qu'il cultive avec un cynisme enchanteur. Il aime rappeler à ses hôtes que son atelier est l'ancienne résidence de Wang Jingwei (1893-1944)1. Il porte, été comme hiver, un blouson noir, a le crâne rasé et fume cigarettes sur cigarettes avec l'élégance d'un parfait dandy au parler cru, catégorique et franc. L'homme a du métier. C'est à la prestigieuse Académie des Beaux-arts du Zhejiang qu'il fit ses études en se spécialisant dans la technique de la peinture à l'huile. Etablit, au début des années quatre-vingt, à Wuhan, ses contemporains le remarquent cependant par une série de

performances au titre macabre ("projet de suicide" "zisha jihua" 自 杀 计 划 ; ill. 1-2) précédant d'un an la tragédie de Tiananmen.

La série des "murs rouges", commencée en 1992 et apparentée à la forme de bandes dessinées ou images enchaînées (lianhuanhua 连 环 画) que popularise vers la fin des années vingt l'artiste Fang Zikai (1858-1975 ; ill.3)2, accroît son succès auprès du public et des galeristes étrangers. Il s'attache à démontrer que les media ont transformé notre vision du monde. Ellipse et schématisation constituent les bases de son art qui est sinon engagé du moins compatissant. A la différence d'un Wang Guangyi, la peinture de Wei Guangqing est ancrée dans une culture populaire qui n'est pas seulement tournée vers le présent et la consommation de masse. Son ouvre s'inscrit dans une culture très différente et revêt des caractères parfois opposés. Elle a recours à des techniques moins impersonnelles tout en s'appropriant les procédés de séduction des medias passés et présents3. Au vu de ces longs murs rouges peints par Wei Guangqing, qui constituent le signe distinctif de son style, nul ne peut oublier la réflexion de Michel Foucault s'exprimant dans les Mots et les choses4 sur les particularités que la Chine tient dans notre imaginaire:

"Nous songeons à elle comme à une civilisation de digues et de barrages sous la face éternelle du ciel; nous la voyons répandue et figée sur toute la superficie d'un continent cerné de murailles. Son écriture même ne reproduit pas en lignes horizontales le vol fuyant de la voix; elle dresse en colonnes l'image immobile et encore reconnaissable des choses elles-mêmes".

Faut il, comme le pense John Hay5, en déduire que Foucault, rejoint en cela par Wei Guangqing et la majorité de ses contemporains, a recours à des stéréotypes inscrits dans une interprétation orientaliste telle que la définissait Edward Saïd6? Le mur est avant tout un symbole de démarcation hiérarchique ainsi que l'a démontré Arthur Waldron7 entre l'homme du dehors (wai ren 外 人) et celui du dedans (nei ren 内 人) réunis cependant en une cohérence identitaire par ce qui les sépare et voile leur existence propre. C'est aussi, dans le contexte des années quatre-vingt, l'ambivalence d'un symbole autour duquel se cristallisent à travers un jeu de mots fameux8 l'idéologie d'un régime incluant à l'aune de ses aspirations hédonistes l'idée de chance et de plaisir comme celle d'une subversion renaissante et ludique9 propre à une culture populaire, hier encore subordonnée au politique, mais recouvrant dès lors sa vivante autonomie.

Ce qui échappe au cadre du mur et des cloisons est sans lieu, n'a pas lieu. Comme le remarque Marie José Mondzain, dans son admirable étude sur des peintres que nous avions approché ensemble:

« L'étranger commence dès que l'on quitte le cadre et chaque existence a pour tâche de produire son cadre. Le tableau est le signe d'un centre qui n'est pas dans le tableau, mais à une distance invisible qui varie en fonction de la relation qui se construit entre l'artiste et le destinataire de l'ouvre. Le centre se déplace donc sans cesse puisqu'il est défini par le lieu du vivant lui-même. L'incommensurable extériorité de ce qui est hors du centre produit une identification du centre avec ce qui définit l'intériorité, mais cette intériorité a besoin des écrans pour apparaître; il n'y a donc que l'extériorité du plan, cadre et support de l'inscription, qui puisse s'offrir à la lisibilité d'un dedans. L'homme du "dehors", l'étranger, ne peut entrer et son impuissance est à la mesure de son exclusion des écrans qui définissent l'espace des pouvoirs et des communications"10.

L'ouvre de Wei Guangqing n'est en aucune façon soumise à la question d'une représentation. C'est une simulation qui enveloppe tout l'édifice de la représentation lui-même comme simulacre. Tout est déjà là, réalisé, produit à l'avance, et livré sans avenir. Pour parler le langage de Jean Baudrillard:

"Tout est déjà programmé, et le plus intéressant au fond, dans les péripéties actuelles, c'est cette précession du scénario par rapport au réel, cette précession des simulacres"11.

Wei Guangqing, à nos yeux, redessine à la manière d'un David Salle12 l'objet qu'il s'est approprié: ouvrages érotiques d'époque Qing, illustrés moralistes Ming soutenant la pensée néo-confucéenne d'un Zhu Xi (1130-1200); stratégie servant à exprimer des points de vue très divers sur la société actuelle, qui vont de l'apologie à la critique, rejoignant en cela un courant de pensée en Chine dominant qui revendique son attachement à la post-modernité13 .

4-1-Mur rouge, porte close et famille (ill. 4)

Le problème posé par Wei Guangqing est celui de la possibilité d'une anti-phrase plastique ou comment dénoncer un vide axiologique moderne en l'illustrant et en l'incarnant. Comprenons bien: la Chine de Deng Xiaoping intègre une période de consommation de masse. Les images des ouvres remplacent les ouvres, et toutes les images s'équivalent et s'annulent. Mais là où l'Occident a vu dans ce passage des signes d'une culture à une culture des signes, une déculturation14, la Chine, par un glissement de sens analogique substituant l'image au caractère, le discours direct à la voix des masques développe, parallèlement à une prise de conscience subversive, un recours à l'image comme arme critique. Or quelle est l'image qui s'offre à notre regard? Celle d'un mur rouge. Sa fonction apparente est simple. Il s'agit d'un mur rideau, c'est à dire une séparation non porteuse, exerçant ici le rôle idéologique de masque (mianju 面 具) en ce qu'il sert de support prophylactique comme celui conféré aux images pieuses qui ne sont d'ailleurs pas destinées à être vues mais dont le pouvoir protecteur dépend au contraire du secret qui entoure leur présence.

En ces briques empilées sur la hauteur d'un mur semble s'inscrire le destin de générations innombrables unies par la piété d'une filiation ancrée dans les traditions du sol physique et mental de la Chine. A l'opposé, un personnage portant la longue natte soumettant les Han à la dictature des Qing, s'apprête à lever le loquet d'une porte à moins que son geste en termine déjà l'exécution. Dans l'ambivalence de cet acte se découvre une culture marquée par l'obstacle où ce qui ferme fait système. Les caractères guanxi (关 系), que nous traduisons par relation sont des plus évocateurs: tout effet de clôture met en place un système d'ouverture. En cela, par la contradiction qu'elle fait naître par rapport à l'agencement des signes, la culture chinoise ne se dévoile que par la mobilité des regards et des passages soumis à l'intelligence du souffle. C'est précisément dans le hors champ de l'image que se glisse ce que nous appellerons le plaisir de l'inachevé. Puisqu'il nous faut renoncer à l'interrogation d'un derrière de l'image, nous reprenons à notre compte le sens du geste qui l'a créé. Notre perception même n'est jamais finie et sans autre guide que le tracé de la brique inventée, nous rejoignons le monde silencieux du peintre, de sa famille aussi, désormais proférée et accessible. Ce qui est irremplaçable dans une ouvre d'art, pour

parler le langage de Merleau Ponty:

"C'est qu'elle contient mieux que des idées, des matrices d'idées; elle nous fournit d'emblèmes dont nous n'aurons jamais fini de développer le sens, et, justement parce qu'elle s'installe et nous installe dans un monde dont nous n'avons pas la clef, elle nous apprend à voir et nous donne à penser comme aucun ouvrage analytique ne peut le faire, parce qu'aucune analyse ne peut trouver dans un objet autre chose que ce que nous y avons mis"15.

Il y a là cependant un fait propre à la lecture de l'ouvre de Wei Guangqing, de la peinture chinoise en générale: stratégie et esthétique se révèlent étroitement solidaires. Comme le rappelle François Jullien dans le Détour et l'accès:

"C'est par variation entre les pôles de la présence et de l'évanescence, de la manifestation et du retrait" que s'opère "l'oscillation entre l'implicite et l'explicite comme l'art de la guerre entre attaque de front et attaque de biais"16.

L'obliquité du discours et le hors champ de l'image renvoient à la même économie d'ensemble dont la donnée fondamentale consiste à instaurer une distance allusive par rapport à l'objet visé. Mais quel est il au regard de ce que nous sommes, hommes du dehors? Le mur est un écran17, un masque, c'est à dire un visage artificiel du pénétrant - impénétrable mettant à l'abri le cour du cour, là où s'exalte une suprématie nationale, la terre chinoise qui ne ment pas, la famille, en un mot, lenaos, attaqué de toutes parts par une révolution économique qui remet en cause et des traditions ancestrales et une réalité définie par le pouvoir. Cet ébranlement des valeurs s'est manifesté en d'innombrables expositions expérimentales amorcées après la tragédie de Tiananmen18 auxquelles Wei Guangqing a notamment participé. Mais revenons à l'ouvre, à l'exprimé des signes qu'elle nous donne à voir et dont l'arrangement même de leur configuration ouvre un champ, inaugure un style, celui d'une peinture conçue non dans l'instant où elle a lieu mais dans une appropriation d'un langage qui fonde ce que Mitchell appelle une méta-image19. N'est ce pas le propre d'une image d'art de s'insérer, comme le pense Gombrich20, à une filiation d'"inter-iconicité". Peindre, ainsi, n'est pas seulement transcrire le monde; c'est aussi réfléchir au pouvoir des images: les siennes, et celles des autres.Ainsi le discours naît-il du discours, et la peinture, de la peinture. En somme, l'expression est auto-référentielle et l'artiste ne chemine jamais seul sur les chantiers de la création.

4-2-Incompatibilité sensuelle. 83° round (ill. 5)

Là où l'image était synonyme d'obstacle, elle

devient l'apparente incarnation du pur désir. Au centre de la composition, trois femmes nues aux poses lascives; un emprunt aux illustrations du célèbre Jing Ping Mei. Dans la diagonale du tableau, en chacun de ses angles un couple faisant l'amour et, à mi-corps une pin-up au regard triste, saisie dans sa fragile indifférence. Sur le territoire de la toile, ces ensembles se répondent par le thème qu'ils illustrent, le sexe. Ils sont à nos yeux d'autant plus évidents que la surface du tableau est parcourue de rayures verticales. Ces rayures sont un accent: elles se voient en premier et elles nous indiquent une action, le passage d'un état dans un autre. Michel Pastoureau, dans son admirable étude, L'étoffe du diable a démontré qu'une entité rayée pouvait fonctionner comme un véritable trompe-l'oil "dont le seul rôle est de détourner momentanément notre regard d'une zone du tableau plus essentielle et qui demande à se dévoiler lentement"21. Est-ce là un phénomène perceptif commun à toutes les cultures et plus particulièrement à la culture chinoise? La rayure est toujours un instrument de taxinomie sociale. Rayer, c'est faire des traces et mettre en rang, inscrire et orienter, marquer et organiser. Au même titre que le tatouage22 ou le masque, la rayure est une oblitération. Caractéristique est à cet égard le cas du "code barre" que nous voyons au bas de l'image. Il signale, classe, contrôle, hiérarchise le produit vendu. Ainsi, Wei Guangqing joue sur l'ambivalence de la rayure.

Celle-ci est à la fois guide et obstacle, filtre et barrière. L'artiste en utilise les différents rythmes. L'alternance entre les zones pleines et les zones vides, plus au moins rapprochées fait écran tout en

laissant passer ou lorsque l'excès de rayure, représenté par le code barre, se répète pour former un

fort écart visuel avec ce qui l'entoure, elle redouble l'excitation de nos phantasmes accentués en cela, du point de vue sémiologique, par le lien intemporel, presque absolu, qui s'opère entre la couleur rose et le rayé. Nous sommes là dans le domaine du "voyant", du criard, du dynamique même; monde des Marilyn chinoises d'une nouvelle culture urbaine devenues des icônes aussi fascinantes que les Marilyn en silk screen d'Andy Warhol. Qui sont elles? Des corps parés dont les traces se retrouvent éparpillées dans une imagerie réapparue en Chine au commencement des

réformes. Photographies, vidéo-disques, illustrations de revues, affiches, calendriers, cartes postales, publicités mais aussi graffiti, tatouages et paroles de chansons: les pin-ups disent l'habitude prise par les hommes de les accrocher pour marquer leurs territoires. Aussi, les pin-ups sont elles inséparables de ces espaces marqués par les bouleversements de la période Deng Xiaoping: aménagements du temps de travail23 percées populaires vers les plages du littoral, de Xiamen à Sanya, migrations vers la ville en pleine expansion, embarquements sans retour vers les chantiers du Xinjiang et du Qinghai, exil des étudiants à l'Université, condamnés dans leur dortoir à la promiscuité, la crasse, le bruit, la chaleur ou le froid. Néanmoins, à la différence de sa consoeur occidentale, la Pin-up chinoise et celle a fortiori que peint Wei Guangqing, n'est jamais nue. Que ce soit, pour parler le langage de Bertrand Mary24 par rapport au "prolétariat" ou à l '"aristocratie" des images, un fait persiste, hier comme aujourd'hui, en Chine que François Jullien dans son livre, De l'essence ou du nu25, a analysé: le nu n'y a jamais totalement pénétré et cette absence nous renvoie à une impossibilité, en même temps qu'elle nourrit en nous, Occidentaux, un sentiment de frustration que Wei Guangqing, non sans malice, entretient parce qu'il sait aussi que le public Occidental est plus attentif à son ouvre que ses compatriotes.

Pourtant, même si Chinois et Occidentaux ne perçoivent pas un sens d'origine identique à cette

ouvre, ce qu'elle éveille en nous produit toujours du sens. C'est que le geste de Wei Guangqing inaugure ce sens et devient comparable à tout autre en relevant d'une seule syntaxe. Il y a, en effet, une finalité de principe entre la peinture de Wei Guangqing, celle du pop'art américain ou française même avec Bernard Rancillac26, Jean Le Gac27 et Henri Cueco28, maîtres de l'art narratif où alterne la nouvelle figuration, parfois politisée, et les mythologies personnelles.

Pour Wei Guangqing, celles-ci revêtent l'aspect d'enquêtes minutieuses, d'accumulations de documents anciens et récents. Chez lui, l'atelier est généralement le théâtre d'un combat, d'un affrontement violent entre la toile, des papiers et revues innombrables qui jonchent le sol et la pratique archéologique à laquelle se livre l'artiste. Il partage l'atelier avec un autre grand nom du pop'art, Yuan Xiaofeng. Beaucoup de passages en ce lieu: des femmes, des étudiants en nombre restreint à qui Wei Guangqing prodigue ses conseils d'enseignant attaché à l'Académie des Beaux-Arts du Hubei. En été, l'atelier est une fournaise. En hiver, des briques de tourbe, servant de combustible, empuantissent l'atmosphère tandis que des lampes éclairent jusqu'à l'aube le désordre incroyable de l'atelier. Cet antre est un refuge mais aussi une scène où se livre la lutte de l'art et du sexe. A la fois acteur, voyeur et censeur, peintre et spectateur, Wei Guangqing dévoile sous les masques burlesques de la littérature érotique illustrée et l'imagerie des Pin-ups, la vérité de l'atelier, c'est à dire de la vie: à savoir l'omniprésence du sexe, exalté, désiré mais aussi condamné.

4-3-Mur rouge. Réveil (ill. 6)

Mur rouge. Réveil: comment deux objets de la société

globale se réfractent ils dans l'expérience vécue des individus pour, enfin, intégrer une dimension

subjective dans une image d'ensemble? Le mur est un obstacle. Le réveil est le réceptacle de sa matière première: le temps. L'histoire des approches du temps ne se sépare pas d'une interrogation sur le temps même. Comme le rappelle Krysztof Pomian29, le temps n'est pas un mais plusieurs. Tantôt continu, tantôt discret, qualitatif ou quantitatif, cyclique ou linéaire: nous le vivons éclaté et contradictoire. La multiplicité de ses registres, de ses faces et de ses strates est irréductible. L'essence du temps, c'est qu'il n'y a que des temps. Observons néanmoins le cadran du réveil: les aiguilles ont disparu, une scène érotique les remplace. Quoi de plus désespérément singulier et banal que cette image faisant écho à celle, en surplomb, d'un couple saisit dans l'opportunité du moment? La vie se love en cette insouciance, ce non-compliqué qui se libère, sponte sua, derrière le mur et ses deux janissaires féminins qui tournent le dos à notre regard. Il en va de l'amour comme de l'esprit en Chine: il faut vivre "à propos" au gré du moment et dans le respect du cadre. Le mur, tantôt répressif, tantôt protecteur se traduit à la convenance de celui qui parvient à évoluer, à épouser la modification du moment. Le temps et l'espace ne sont pas dissociables l'un de l'autre. Comme le rappelle François Jullien dans un de ses remarquables ouvrages:

"Aux portions du temps répondent des parties de l'espace, leurs emblèmes sont communs, chaque période est solidaire d'un climat, chaque orient lié à une saison. Les Chinois ont conçu, non point l'espace ou le temps en soi, mais des "sites" et des "occasions"30.

Pour Wei Guangqing, l'amour, les filles, l'alcool sont de la nuit. L'artiste ne voyage guère. A Pékin, parfois, où il dispose d'un atelier mais c'est surtout à Wuchang que se déroule l'essentiel de sa vie. Le passé, le futur ne l'intéressent guère.

Wei Guangqing séjourne dans le moment. Mur rouge.

Réveil, nous entraîne vers des valeurs qui pourraient être les nôtres. L'ouvre a ceci de prosaïque, de simple même en ce qu'elle se borne à toucher par des signes convenus des significations déjà installées dans la culture chinoise. Wei Guangqing a cependant l'art de capter un sens qui n'avait jamais été objectivé jusque là et de le rendre accessible à tous ceux qui parlent la même langue en communiquant dans le risque, l'instant-éclair, le silence et les signes évasifs. Le méconnu se reconnaît dans l'agencement des symboles et ce "je ne sais quoi", pour parler le langage de Vladimir Jankélévitch31, de l'image fait soudain sens à nos yeux. Elle reste discrète en ce qui touche à l'invisible; quant à l'essentiel (que révèle le sens de l'humain), le propos de Wei Guangqing en parle implicitement parce qu'il ne fait toujours que l'aborder, de façon oblique. La série des murs, des Marilyn peinte par Wei Guangqing demeure un inépuisable commentaire, un "parfait enseignement", au sens confucéen de l'expression, sur ce que vivre veut dire en Chine, que l'artiste ne cesse de nous rendre manifeste. Tel est l'homme. Tel est l'artiste. Rien n'est plus difficile à appréhender, de fait, que cette globalité de l'évidence. De là l'importance d'une stratégie dévolue au choix d'une présentation de l'image découpée en séquences réussissant à éclairer ce dont elle procède et nous relie à la totalité (celle de la société, celle de l'homme): le propos de Wei Guangqing est de traiter seulement le particulier comme indice. En l'interprétant d'une manière subjective, nous nous engageons dans une orientation qui nous rend "partiaux" et fait obstacle à notre capacité d'évolution.

L'économie de l'image, sa régulation ne peut faire l'objet d'aucune définition: elle ne cesse de se renouveler, pour s'accorder au cours changeant des choses et ne peut donc être délimitée par une formulation dont le contenu serait fixe et définitif. Ce que nous voyons nous Européens, échappera à un regard chinois. La réciproque est aussi vraie: l'image ne donne aucune prise à une interprétation univoque. Cette particularité d'une image qui se donne à voir sans entraves, sans dogmatisme en ce qu'elle est indéfinissable explique aussi le fait que son auteur n'ait jamais eu de difficultés avec les censeurs du régime. Le cas de Wei Guangqing est, à ce titre, exemplaire mais il n'est pas isolé. Quitte à cette disponibilité de l'artiste, vue du dehors, soit jugée de l'opportunisme; il n'est braqué sur rien ni fermé à aucune occasion. Il ne s'impose aucune règle et, dans son propos, ne s'individualise en rien. A la philosophe Marie José Mondzain, venue l'interroger sur la peinture et le pop'art, Wei Guangqing avait répondu en des termes que l'on put croire provocateur: "je ne sais pas ce qu'est le pop'art"32. Il en va de l'artiste comme de sa peinture: se défendant de tout parti-pris, de toute individualité, l'ouvre de Wei Guangqing donne son plein essor à la capacité d'immanence pour s'identifier, par là même, au procès du monde.

Monographie

Biographie: né à Huangshi dans la province du Hubei.

Diplômé en 1985 de l'Académie des Beaux - arts du

Zhejiang, il enseigne à l'Académie des Beaux - arts du

Hubei. Expositions:

1989: exposition collective à Pékin

1991: exposition collective et itinérante d'art, de littérature et de peinture moderne à Pékin, Chongqing, Shenyang, Guangzhou; exposition itinérante aux Etats - Unis "I don't want to play cards with Cézanne" 1992: première foire d'art contemporain à Guangzhou 1993: exposition collective "Post - 89 new art in China", Hong Kong; exposition collective "China pop art show", Han ya xuan gallery, Taïwan. 1994: exposition collective "94 international contemporary art show (Chine, Corée, Japon)", Beijing, Zhongguo meishuguan. 1995: exposition collective "New Asian art show - 1995 (Chine, Corée, Japon)", Osaka, Japon; "Chinese new art exhibition - out of the national ideology", Hambourg, Allemagne. 1996: exposition collective "China!", musée d'art moderne, Bonn, Allemagne. Bibliographie: Asian avant - garde (auction catalogue), London, Christies, King street, 1998; Chang Tsong - zung, Valerie Doran, China's new art, post - 1989, Hong Kong, Hanart TZ gallery, 1993; China / Avant - garde, Beijing, China art gallery, 1989; Gao Minglu, Zhongguo dangdai meishu shi (1985 - 86), Shanghaï, Renmin meishu chubanshe, 1991; Jose Nicholas, My search for a shaman: the impact of 1989 on chinese art, Asian Art Press, vol. 1, n°2 (april 1994), pp. 78 - 83; Jose Nicholas, Next wave art: the first major exhibition of post - Tian an men vanguard. Chinese art seen outside the mainland, New Asia review, summer 1994, pp. 18 - 24; Mao goes pop, China post - 89 (catalogue), Sydney, Museum of contemporary art, 1993; Strassberg E., I don't want to play cards with Cézanne and other works: selections from the chinese new wave and avant - garde art of the eighties, Pasadena, California, Pacific art museum, 1991; Michael Sullivan, Art and artists of twentieth century China, Berkeley and L. A, university of California press, 1996; Emmanuel Lincot, Avant - garde chinoise (Zhongguo xianfeng yishu), Wuhan, 1996. Sites web: http//www.soobinart.com.sg/artists.html et http://www.shanghart.com

 

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